Dommage » ai-je posté sur la page pro ApiO sur Facebook, lorsqu’il y a dix jours, j’appris la fin des activités de l’éditeur d’applications Chocolapps. Depuis, chaque jour, je me sens un peu plus consternée et déçue. Et je réfléchis à leur histoire, au pourquoi, au comment…

Au tout début de ApiO en 2011, Chocolapps, qui s’appelait alors So Ouat, était le premier éditeur à proposer des applications de livres animés en français… des grands contes classiques proposant des animations, mais surtout des réglages multiples, qui étaient très appréciés lors du travail de langage écrit en orthophonie, ou lors de moments de lecture en famille : soulignement des syllabes, changement de police, choix de langue, accès à un dictionnaire , soit visuel, soit par définition, plusieurs niveaux de lecture au sein d’un même livre…

Nous avions alors échangé car ApiO en était alors à ses débuts. Nous avons même été partenaires quelques temps, So Ouat offrant des apps lors de nos formations.

Très rapidement, le marché des apps s’est développé, avec des centaines de choix d’apps pour les enfants. So Ouat devenu Chocolapps a continué de nous proposer de très bonnes apps, respectueuses des enfants et de leurs parents : contenu de qualité, éducatif, pédagogique et en français (ce type d’app était moins nombreux dans la langue de Molière qu’en anglais, à l’époque).

Il est devenu difficile de faire un choix parmi toutes les propositions émergeant sans cesse sur le App Store. De plus en plus de blogs et sites proposent des listes d’apps, des critiques ou des descriptifs… mais devant le flot débordant de toutes ces informations, de plus en plus de personnes vont se diriger vers une app gratuite, sans se poser de questions.

La conception d’une app ne se fait pas sans travail; cela exige l’implication d’au moins trois personnes : concepteur, graphiste, programmeur… si on parle d’une app scolaire ou d’une app pour une profession en particulier, il est nécessaire d’avoir une personne de cette profession sur l’équipe : un enseignant, un ou une orthophoniste, ergothérapeute, etc.

Une simple app peut prendre plusieurs semaines à temps plein. Une app élaborée peut exiger plusieurs mois. Le budget total est important; une fois que la mise en place de l’app est approuvée par Apple (cela peut prendre plusieurs semaines voir mois), elle est à vendre, souvent moins d’un Euro, moins d’un Dollar, parfois quelques Euros/Dollars , et de temps en temps plusieurs dizaines d’Euros/Dollars. Sur ces ventes, Apple prend 30 %.

On peut vite faire le calcul… combien d’apps faut-il vendre pour pouvoir rémunérer tout le monde ? … beaucoup !!! Souvent, le prix d’une app est bien en dessous d’un matériel éducatif papier, pour lequel on trouverait le prix tout à fait normal.

Pourquoi une app peut-elle être gratuite ? Certains éditeurs ont choisi de proposer leurs apps gratuitement et de se rémunérer en y proposant des placements publicitaires. Certaines proposent de convertir à une version sans publicité moyennant quelques sous.

D’autres proposent le début de l’app en mode gratuit (essai) puis des achats intégrés nous permettant d’accéder aux autres niveaux. Certaines apps sont complètement gratuites : sans publicité, sans achat intégré. Soyez assurés et assurées que ce n’est pas juste pour vous faire plaisir. Ces apps vont récolter des informations sur vous ou vos actions à partir de cette app (qui peuvent être revendues à des fins commerciales ou de statistiques). Comme on dit, « Si c'est gratuit, c'est que vous êtes le produit ».

Finalement, il y a quelques apps complètement gratuites et sans récolte de données, qui sont créées dans le cadre d’un projet associatif ou un projet d’études. Ces apps sont à risque de disparaitre lors des mises à jour majeures de l’iOS, car il n’y a plus de budget pour ce projet, ou le papa bénévole programmeur ne peut plus faire les suivis.

Lorsque nous achetons du matériel pédagogique, éducatif ou orthophonique, dans les magasins spécialisés… attendons-nous à ce que ce soit gratuit ? Nous trouvons normal de payer pour ce matériel.

La comparaison peut se faire avec tout le reste de notre société : j’achète des fruits et légumes, je les paye, j’achète des vêtements, je les paye. Pourquoi nous attendons-nous à avoir un maximum d’apps gratuites sur nos tablettes ? d’où vient ce phénomène ?

Des écoles, des centres de réadaptation achètent des tablettes sans fournir de budget pour les applications… des professionnels m’écrivent en privé, me demandant mes recommandations pour les meilleures apps pour telle ou telle pathologie « mais des apps gratuites »… d’où vient cette croyance que sans payer, on aura de la qualité ?

Comment peut-on croire que l’on peut obtenir une app créée par 4 personnes spécialisées, dont une de notre profession, une app de qualité répondant à nos critères, une app professionnelles que l’on peut considérer comme un outil clinique important, sans débourser quoi que ce soit ?

Je ne peux pas répondre à cette question car pour ma part, je ne comprends pas. Tout ce que je vois, c’est que la gratuité vient de tuer l’excellence. Certaines apps superbement bien conçues n’avaient déjà pas pu résister, par exemple le superbe tableau de communication Talk Rocket Go, ou le tableau d’organisation de tâches et d’horaires Marti.  

De source sûre, certains éditeurs d’apps pour les orthophonistes (il y en a si peu !), n’arrivent pas à vendre leurs apps qui ne coûtent que quelques Euros/Dollars. Pourtant ce sont de vrais outils d’intervention, qu’on payerait bien plus cher sur papier ou en logiciel à installer comme il y a quelques années encore.

On va les voir disparaître en les ayant à peine vu apparaître.

La gratuité vient de faire disparaitre l’excellence… comme l’excellence de Chocolapps. Merci à Michael Guez et tous ses collaborateurs pour ses idées, son respect de ses lecteurs. La gratuité va faire disparaitre le peu d’éditeurs spécialisés pour l’éducation et les professions de santé.

La gratuité vat-elle emporter la Poule aux Œufs d’Or, celle qui nous faisait miroiter du superbe matériel, de plus en plus élaboré, de plus en plus adapté, de plus en plus accessible ?

Une seule solution :

Je souhaite longue vie aux activités des éditeurs dans le domaine de la santé, de l’éducation, de l’orthophonie, de l’ergothérapie !